La description d’un lieu

Les deux ingrédients qui font la différence entre une histoire et une-histoire-qui-nous-a-happés-tout-ronds sont les personnages et l’intrigue. Mais l’assaisonnement magique qui leur donne un souffle, du piquant et de la crédibilité est la description du cadre.

De quelle manière ?

Notre personnalité, nos actions et nos interactions avec les autres génèrent des émotions qui, à leur tour ont un impact direct sur le regard que nous portons sur notre environnement. C’est pareil pour les personnages. Leur perception d’un lieu ne sera pas la même s’ils sont heureux, tristes ou effrayés, s’ils sont en visite ou en fuite, si cet endroit est la maison de leur enfance ou s’ils y mettent les pieds pour la toute première fois.




C’est pourquoi la description d’un lieu porte forcément le bagage émotionnel du personnage, même quand le narrateur est omniscient. Et c’est ce bagage émotionnel qui rend une description plus réaliste et plus captivante. Car une lecture est aussi une expérience de vie que le lecteur emprunte au personnage. Il enfile son passé, il tâtonne ses gestes, il puise dans ses sentiments et pour finir, il voit à travers son regard.

Quels sont les rôles de la description?

À quels moments du récit, de quelle manière et avec quel degré de détail doit-on décrire un lieu? Il y a autant de réponses qu’il y a d’histoires. Mais voici les quatre grandes fonctions que peut prendre une description, accompagnées d’extraits tirés des (très chouettes) aventures d’Edgar Destoits, racontées par Paul Stewart, illustrées par Chris Riddell et publiées chez Milan jeunesse :

edgar-destoits-paul-stewart-chris-riddell

 

1. Situer une nouvelle scène
Pas nécessairement au début de chaque nouveau chapitre, mais chaque fois que le cadre change. La longueur de la description varie selon la vitesse de l’action et l’importance que le lieu prendra dans l’histoire.

J’approchais du Nid de guêpes.
Ce quartier disparate et défraîchi, l’un des plus vieux de la ville, menaçait ruine. Les bâtiments fins comme du papier à cigarette y étaient si serrés que très peu de lumière pénétrait le réseau de ruelles nauséabondes en contrebas. Des logements couverts de bardeaux voisinaient avec des immeubles de brique croulants, des passages souterrains et des raccourcis surélevés reliaient les uns aux autres et formaient un immense labyrinthe en trois dimensions à travers lequel les habitats s’affairaient et se précipitaient.
L’étrange affaire du loup de la nuit,
page 89

 

2. Accélérer ou ralentir une scène
La longueur et le degré de détail d’une description dépendent de la vitesse de l’action. Par exemple, s’il s’agit d’un moment contemplatif, la description est plus détaillée, l’ambiance est plus présente, et les phrases sont plus longues et plus recherchées.

[…] une douce brume enveloppait la tourelle de l’étude de Vaillant et Climk et sa coupole. Derrière elle, la pleine lune était montée dans le ciel. Des pigeons fendaient l’air enfumé, leurs ailes battantes semblaient lancer des applaudissements étouffés.
L’étrange affaire du loup de la nuit,
page 31

Mais si le personnage est pressé par le temps, alors les éléments du décor doivent défiler plus vite, pour ne pas ralentir la lecture : les phrases sont plus hachées, les énumérations plus rapides, et les détails plus clairs et faciles à assimiler.

J’ai observé les alentours : je n’avais pas à m’écarter beaucoup de mon chemin. Une brève course, un petit saut d’un vieil entrepôt en brique à un bâtiment municipal quelconque, avec des gouttières en plomb et une girouette en forme de navire ; un campanile couvert d’or, un grand bond jusqu’au parapet échelonnée d’un centre de pesage, et j’ai rejoint mon itinéraire.
L’étrange affaire du loup de la nuit, page 56

 

3. Créer du suspense
Le suspense est l’art de faire battre le cœur du lecteur. De créer de la curiosité et de l’instabilité, d’éveiller des questions et en retarder les réponses. La description est alors centrée sur le mystère, et les éléments du décor reflètent les incertitudes voire les frayeurs ressenties par le personnage.

À peine avais-je prononcé ce mot que l’air a semblé fraîchir et le ciel se voiler. J’ai promené mon regard sur le port et constaté qu’une nappe de brouillard arrivait par la rivière, comme un tapis gris qui se déployait.
L’étrange affaire du crâne d’émeraude, page 33

 

4. Situer un cadre dans un dialogue
Comme dans les scènes d’action, les détails sont concis et peu nombreux. On évite les énumérations, les figures de style et les phrases élaborées, sous peine de ralentir le dialogue.

– Au cœur de la nuit, j’ai emporté l’épée dans le cimetière militaire hors de la petite ville poussiéreuse où notre garnison séjournait […].
L’étrange affaire du crâne d’émeraude,
page 164

 

Et maintenant, quelques trucs ?

Coupez
Isolez l’idée principale que vous désirez transmettre, et supprimez tous les détails qui ne s’y rapportent pas.

[…] j’ai vu divers cabinets de charlatans au cours de ma vie professionnelle : pour être honnête, celui-ci était assez typique. Sur le bureau, à gauche du sous-main, il y avait une grande lampe à huile en cuivre ; deux diplômes encadrés étaient accrochés au mur. À ma droite se dressait  une table d’examen rembourrée […].
Mais c’est en apercevant le buffet contre le mur opposé que j’ai souri. Haut et imposant, avec ses étagères garnies de pots de verre, de bouteilles et de fioles à bouchon différemment remplis, de formes, de tailles et de couleurs variées, il constituait le meuble essentiel de tous les faux apothicaires et prétendus médecins de la ville.
L’étrange affaire du loup de la nuit, page 66


Des mots forts
Privilégiez les noms et les verbes. Diminuez le nombre des adjectifs, qui sont plus lents à créer une image dans l’esprit du lecteur.

Dehors, le vent s’était levé. Je l’entendais siffler dans les arbres et agiter les feuilles mortes qui jonchaient encore le sol. Il envahissait la cheminée, mugissait doucement et poussait la suie qui venait grésiller dans les flammes en contrebas.
L’étrange affaire des morts-vivants, page 162

 

Des mots justes
Choisissez des mots appartenant au champ lexical des sentiments que vous voulez transmettre. Ici, le danger et l’inconnu :

Tout autour de moi, le brouillard givrant ondoyait, aussi jaune et sulfureux qu’un breuvage de sorcière. Il adoucissait les angles des édifices, brouillait les toits et masquait les cheminées. Il troublait les lumières et assourdissait chaque bruit. Il m’engourdissait les doigts, me piquait les yeux et laissait sur ma langue un goût métallique exécrable.
L’étrange affaire des morts-vivants, page 146


La suggestion
Si le narrateur nous dit qu’on se trouve, par exemple, dans une ruelle pauvre et dangereuse, on le croit. Mais s’il nous le laisse déduire par nous-mêmes, alors on le vit:

Revêtue de coquilles d’huîtres écrasées mêlées à des cendres de charbon, éclairée par un unique réverbère à pétrole, la ruelle de l’Alouette encagée se situait juste au-dessus du carrefour entre la rue des Catacombes et la montée du Marcassin […]
L’étrange affaire des morts-vivants, page 97

 

Faire appel aux sens du lecteur
À la vue, mais aussi à l’odorat, au toucher, à l’ouïe et au goût. Comme si on y était pour de vrai.

Il y avait l’âcreté de l’huile de lin dans les boiseries vernies. Il y avait le parfum suave d’une récente visiteuse – ainsi que la sueur aigre, sous-jacente, qu’elle avait essayé de dissimuler. Il y avait la cire pour le sol. Le lait renversé. L’herbe piétinée. Les plumes de pigeon. La suie. La poussière. Le goudron. Un relent de vomi. Un vague effluve de chien…
L’étrange affaire du loup de la nuit, page 11

 

Des détails vivants
Les détails concrets, ainsi que les scènes qui comportent du mouvement, augmentent la précision et la vraisemblance d’un lieu :

Juste à côté, un jardinier courbé par le rachitisme inspectait une rangée de bêches devant la quincaillerie Grégoire. Un peu plus loin, deux enfants crasseux taquinaient un petit chien maigre avec la pomme caramélisée qu’ils partageaient : ils le faisaient bondir puis cachaient la friandise dans leur dos, et l’animal jappait de frustration…
L’étrange affaire des morts-vivants
,
page 106

 

La comparaison et la personnification
Le grand avantage de ces figures de style réside dans l’exagération, qui amplifie la force d’un détail en lui attribuant des caractéristiques plus grandes que nature, et ce avec une grande économie de mots:

Médusé, j’ai regardé le ciel. Le disque entier était devenu noir comme l’ébène et, sur son pourtour, un halo hérissé de pointes irradiait : un œil noir impitoyable semblait observer la Terre depuis la voûte céleste.
L’étrange affaire du crâne d’émeraude, page 153

Alors qu’il virait à gauche, ses deux grosses lanternes ont brillé à travers le brouillard comme des halos de saints.
L’étrange affaire des morts-vivants, page 146

[…] protégé par le brouillard jaune tourbillonnant qui s’enroulait autour de moi comme un linceul des pompes funèbres […]
L’étrange affaire des morts-vivants, page 148

Sur ce, je vous souhaite de belles balades dans tous les lieux où votre plume vous emmènera! 🙂

 

Crédit image: all-free-download.com

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